Recycleur depuis huit ans chez Sogetri, Thomas Scheibler décrit un métier aussi passionnant qu’utile à tous les citoyens.

De leur réception à leur tri minutieux, les déchets passent d’une benne à l’autre. Le responsable doit toujours être très attentif, une petite erreur de jugement peut avoir un impact sur la valorisation de ce qu’il a entre les mains.

Thomas Scheibler déplore une méconnaissance de ce travail, né il y a à peine vingt ans, et pour lequel seulement deux ou trois apprentis se forment chaque année dans son canton.

Sur cette place à ciel ouvert, le bruit des moteurs se mélange à celui d’un jet d’eau frappant le sol. Les premiers camions remplis défilent, ce matin-là, pour amener les matériaux à trier dans cette usine genevoise. Pendant qu’ils déchargent fûts et grands sacs, Thomas Scheibler s’active. Le responsable du site Sogetri, à Vernier (GE), recycleur depuis huit ans, en saisit deux transparents contenant des bouteilles en PET. Il tourne le premier à plusieurs reprises pour y jeter un coup d’œil et, très vite, remarque une anomalie. «Là on voit directement qu’il y a un corps étranger à l’intérieur», lance-t-il en faisant un trou dans le sac pour s’en emparer. Il sort une petite bouteille blanche avec un symbole de flamme sur le dessus. «Ce produit n’aurait pas dû finir ici, c’est un déchet spécial qui peut être toxique.» Dans le sac en question, il n’aurait dû y avoir que des bouteilles en plastique, qui seront transférées ensuite pour être valorisées. Le produit trouvé par Thomas risque de contaminer de nouvelles bouteilles produites avec le PET recyclé. «Ce que nous faisons ici a d’autant plus d’importance. Nous avons un seuil de tolérance, mais nous devons tout de même être très stricts et attentifs par rapport à ce que l’on envoie.»

Une fois le souci éliminé, il lance le sac dans une benne, qui prendra la route vers une autre entreprise où le travail de valorisation commencera. Thomas pointe alors un second sac, qui, cette fois-ci, semble être trop contaminé. «Là c’est clair, on voit un gobelet en papier, une spatule en plastique et encore un morceau de carton. On va le mettre dans un collecteur spécial et c’est une machine qui va procéder à un nouveau tri.»

«On a une mauvaise image de nous»

S’il est capable de reconnaître le bon du mauvais en quelques minutes, c’est parce que l’homme de 26 ans s’affaire, chaque jour, à ce que tout ce qui repart de chez lui soit de qualité pour être recyclé. Il y a ces bouteilles, mais aussi des capsules de café, des tonnes de carton, de bois, des restes d’objets électroniques, du sagex et des mètres cubes de lavures (des déchets humides comme des épluchures ou des restes de crustacés). Un peu plus loin, son collègue vient d’arriver avec deux fûts remplis d’huiles de restaurant. «Celles-ci, on les récupère pour les transformer en carburant qui servira à faire repartir les camions.» Un circuit fermé au service de la société, qui plaît particulièrement à Thomas: «Je fais ce métier parce que j’ai vraiment le sentiment d’être utile. Cela fait avancer les choses, surtout face à tous ces problèmes environnementaux que nous avons aujourd’hui. Nos gestes sont importants.»

«Un sac peut prendre feu à cause d’une pile. Il faut rendre les gens responsables, en leur expliquant ces enjeux.»

Thomas Scheibler, recycleur

Il déplore que trop peu de gens sachent réellement ce qu’il fait. «Quand on dit qu’on est recycleur, les gens pensent qu’on est la personne qui conduit un camion-poubelle ou qui se contente de sortir une peau de banane d’un sac noir. Il y a encore de l’ignorance4 4par rapport à notre rôle.» Lui-même fait partie des premières générations de recycleurs. La formation dure trois ans et la première volée à l’avoir suivie a débuté en 2000 seulement. Ils ne sont aujourd’hui encore qu’une petite dizaine à Genève. «On devrait donner plus de chances à ce métier. On a une mauvaise image de nous, on pense que ces endroits sentent mauvais, que c’est sale. Alors, oui, il y a des odeurs, mais on s’y habitue, et on ne se rend pas compte de combien on a besoin des recycleurs!»

 

Des formations pour chaque produit

Le jeune homme pointe le fait que tout le monde ne prend pas forcément le temps ou n’a pas encore la conscience de trier chez soi. Une toute petite pile jetée dans un sac-poubelle, par exemple, pourrait faire de gros dégâts. «Si elle entre en court-circuit alors que le sac est transporté dans le camion, il peut prendre feu en route! Il faut rendre les gens responsables, sans constamment leur marteler l’importance du tri, mais en leur expliquant ces enjeux.» Thomas a suivi des formations complémentaires pour pouvoir manipuler différents produits plus dangereux, comme les pharmaceutiques ou ceux pouvant avoir des traces de radioactivité. «On voit que le job ne s’arrête pas du tout à ouvrir un sac-poubelle comme je le disais, on a une multitude de formations que l’on peut suivre pour se perfectionner, continue-t-il. Ces produits, on ne peut pas les déplacer n’importe comment, il faut être un spécialiste dans le domaine pour les repérer et prendre ses précautions.» Des précautions qui passent aussi par le nombre d’employés sur les lieux: ils veillent toujours à être plusieurs en même temps pour ne jamais se retrouver seul en cas de problème.

Le tri de ces déchets spéciaux, c’est la partie du métier qui ne peut pas être automatisée, sinon une majorité des mouvements sont effectués par des machines. Thomas en fait la démonstration en sautant sur une tractopelle. «Encore une fois, il faut savoir tout faire, on passe d’une matière à une autre et il faut connaître chaque chose que l’on va toucher.» L’immense pince de fer ouvre sa gueule pour plonger dans la benne au fond de l’usine. Durant les prochaines minutes, Thomas va soulever puis compacter des boîtes de conserve en fer-blanc. Son but: écraser le tout au maximum, pour avoir un meilleur rendement lors de son déplacement. «Je pense qu’on peut encore travailler sur deux ou trois éléments, mais on est en bonne voie. Jusqu’à il n’y a pas longtemps, le PET passait à l’incinération, une des bêtes noires du recyclage, mais maintenant on rend les gens acteurs de leur environnement et les choses changent petit à petit.»

 

TEXTES: SAMANTHA LUNDER

PHOTOS: CHRISTIAN BONZON